Dans le monde des sports dits « d’élite », l’équitation est reine. À juste titre : l’entretien et les équipements coûtent cher et les prix des cours s’en ressentent. Dans la métropole de Bordeaux, quelques irréductibles clubs tentent de rendre accessible ce « sport de riches ». 

Depuis la route départementale, les boxes et les carrières du Poney club mérignacais sont hors de portée de vue, cachés derrière une recyclerie. Avec seize poneys et 105 élèves, Clara Choucroun, une monitrice du centre, s’amuse d’être « le plus petit club de la région ! » C’est sans compter le club du Poney lormontais, de l’autre côté de la Garonne. Son responsable Olivier fait ses comptes : « treize poneys … et une soixantaine d’élèves. » Ces clubs à taille humaine ont un autre titre à leur palmarès : celui du meilleur prix. le centre équestre de Mérignac rafle la mise : 600 euros tout compris pour des cours hebdomadaires à l’année. Certes, le coût reste important, mais toujours moindre comparé à d’autres clubs de la métropole, où l’année atteint facilement les 800 euros.

L’associatif met le pied à l’étrier

Dès sa création en 1985, le Poney club mérignacais est associé à la fondation Léo Lagrange. Du nom d’un député socialiste du début du XXe siècle, précurseur de la réflexion sur les loisirs, cette structure fondée par Pierre Mauroy en 1950 promeut l’éducation populaire pour tous. « Dans le pour tous, il y a les petits porte-monnaie, les moyens et les familles nombreuses », précise Clara. Dans cet esprit, le club tente de faciliter le paiement des cours en acceptant les chèques vacances et les chèques cadeaux de comité d’entreprise. Il propose aussi de l’échelonner en dix mensualités réglées en espèce, chèque ou carte bleue, là où d’autres clubs ne proposent qu’un paiement en trois fois. Clara concède : « On ne peut pas se mettre au même tarif que le rugby et le foot. Mais on essaie de rendre ce sport possible, même pour les familles modestes. »

Non loin de ce petit club, un géant : le centre équestre UCPA de Saint-Médard-en-Jalles. 80 chevaux, 500 élèves, cinq carrières, douze salariés, le tout sur un domaine comprenant un château. Un lieu somptueux pour un prix compétitif sur la métropole : 718 euros. Thomas Garçonnat directeur du centre, explique : l’UCPA est la plus grosse association sportive de France, valorisant l’accessibilité au sport. Il raconte : « Depuis 1999, le club est allié à la mairie de Saint-Médard. Il nous loue les lieux et nous aide financièrement, ce qui nous permet de proposer des prix attractifs pour ses habitants. » Le lieu accueille aussi des colonies de vacances l’été et loue le domaine pour des baptêmes et des mariages. « Autant de rentrées d’argent qui sont ensuite investies dans nos équipements ou dans la création de projets d’action sociale », résume le directeur de ce centre qui tire sa force de sa polyvalence. 

« Système D »

Sans tous ces garde-fous, il faut se débrouiller. Pour être abordable, le Poney club mérignacais « repose sur du système D » bien rôdé. Comme au club de Lormont, les chevaux vivent et dorment au pré. Une manière de réduire les frais en évitant de faire appel aux services d’un palefrenier toutes les semaines. Clara précise : « Dans mon centre, les poneys vont dans les boxes seulement le matin quand les élèves arrivent ou lorsqu’il y a des intempéries. » À ces occasions, c’est elle qui s’occupe de les remettre en état, avec l’aide du directeur technique de l’association du club. Ce dernier est pour beaucoup dans les économies. Fils des fondateurs du club hippique mérignacais, il aide bénévolement à l’entretien des boxes. Mais surtout, il est à la tête d’une société de location de poneys et shetlands. C’est lui qui fournit la majorité de la petite cavalerie du poney club, comme de beaucoup d’autres de la région. « C’est un énorme avantage pour nous, assure Clara. Il s’occupe de tous les soins et durant les périodes où le club ferme, comme en période de Covid-19 ou pendant les vacances d’été, les chevaux ne sont plus à notre charge. »

À Lormont, le confinement est plus dur : Olivier est propriétaire de sa cavalerie. Il s’en soucie : « Les chevaux, ce n’est pas comme des motos, on ne peut pas les ranger dans un hangar quand on ne les utilise pas. » Sans les baptêmes poneys, les scolaires et les cours, il perd de l’argent tous les jours. Or, il faut aussi payer le matériel et les moniteurs. Là encore, il y a des astuces. « Ici il n’y a pas de salariés, je suis en autoentreprise », précise la monitrice de Mérignac. Du côté de rive droite, Olivier aussi ne travaille qu’avec des indépendants. Un choix de plus en plus fréquent, « dans le milieu équestre comme dans tous les autres. » Dans ce secteur où le coût des matières premières augmente de plus en plus, s’exonérer des frais salariaux est profitable. Côté UCPA, Thomas Garçonnat fait la moue : « Je comprends qu’on le fasse, mais je ne suis pas fan, pour le côté précarité et pour le suivi des élèves. » Comme partout, l’auto-entreprenariat est à la fois un signe et un accélérateur de la précarisation de l’emploi. « Ce sont des électrons libres, même s’il y a des exceptions », concède-t-il. 

« Un sport de riches »

Clara fait partie de ces exceptions. Arrivée il y a trois ans, elle s’investit pour attirer un public différent au poney club. Mérignac a, selon elle, deux visages. Il y a le côté bordelais, collé à Caudéran, « un peu de la haute » et une partie beaucoup plus populaire. Elle décrit : « Il y a beaucoup de HLM et la mosquée est à 350 mètres du club, ça attire un certain public. » Un public modeste et musulman pratiquant qui, Clara le dit haut et fort, est refusé dans certains clubs. Dans ce sport d’élite, les barrières économiques sont souvent doublées de discriminations. Selon la monitrice, certains de ses élèves ont été refusés ailleurs pour des motifs aberrants : « L’équitation serait interdite aux Noirs parce que on ne peut pas mettre de bombe – le casque de protection – avec des tresses. » Idem pour le voile. Environ un tiers de ses élèves viennent d’une autre commune que Mérignac : Le Haillan, Le Taillan-Médoc ou Pessac. « Il faut croire que certains types de population n’ont pas été acceptés ailleurs », constate la monitrice. 

Les enfants porteurs de handicaps sont eux aussi écartés de l’équitation. À Lormont, Olivier a développé l’équithérapie. À Mérignac, le club n’a pas les moyens de le faire, mais Clara accueille dans ses cours une dizaine d’enfants avec de légers handicaps comme la surdité, les troubles de l’attention ou la dyspraxie. La monitrice, qui est aussi éducatrice spécialisée, trouve scandaleux que : « dans les 3/4 des autres clubs, on leur dit de prendre des cours particuliers qui peuvent monter à 50 euros ! » À l’inverse, un cours collectif coûte entre 13 et 18 euros. Clara le sait, l’équitation a très mauvaise réputation en terme d’ouverture d’esprit et de tolérance. « On passe pour des péteux, mais si on y mettait un peu du notre, les gens arrêteraient d’avoir cette image de sport de riche. » 

Juliette Pierron