En 2018-2019, 8401 élèves en situation de handicap étaient scolarisés en Gironde.

En Gironde, aller à l’école n’est pas chose facile pour un enfant atteint d’un handicap. Son parcours de scolarisation est semé d’embûches qui viennent alourdir une situation déjà complexe. Les parents doivent se plier en quatre pour pallier les disparités territoriales et trouver des solutions. Enquête.

« J’ai plié bagage seule avec deux enfants sous le bras pour venir scolariser Arthur en unité d’enseignement en Gironde. Mon mari nous a rejoints en janvier après avoir vendu la maison et notre société », confie Julie Millot, maman d’un garçon de 9 ans en situation de handicap. Arthur est autiste et souffre d’un retard mental et moteur ainsi que du syndrome de Coffin Siris*. Pour la famille originaire de Dax, le déménagement a été la solution pour scolariser leur enfant. D’autres parents viennent d’encore plus loin et pointent l’attractivité du département pour ses établissements et services. C’est le cas de Magali Pascaud, maman d’un adolescent autiste de 17 ans : « Nous sommes originaires de Bourges en région Centre-Val-de-Loire. Dans cette ville, il n’y avait pas d’association qui pouvait nous proposer des services comme une psychologue ABA (une méthode comportementale pour prendre en charge l’autisme, ndlr) de proximité et de qualité. Nous nous sommes dit qu’il fallait chercher ailleurs en France »

*Le syndrome de Coffin-Siris (SCS) est un trouble génétique multi-systémique congénital rare caractérisé par une aplasie ou une hypoplasie de la phalange distale ou de l’ongle du cinquième doigt, un retard de développement, un déficit intellectuel, des traits grossiers du visage, ainsi que d’autres manifestations cliniques variables. (Orpha.net)

En Gironde, le nombre d’enfants scolarisés tous milieux confondus est en augmentation. Une progression au profit des Ulis et des classes ordinaires, tandis que les EMS et les établissements sanitaires connaissent une stagnation voire une baisse de leurs effectifs.

La Gironde semblerait être un bon élève en ce qui concerne l’accès à l’école pour les enfants en situation de handicap. Mais déménager dans ce département ne signifie pas pour autant trouver un établissement ou des services proches du lieu de résidence. Des fractures existent aussi à l’échelle départementale. C’est ce qu’explique Sandrine (le prénom a été modifié), maman d’une petite fille de 11 ans épileptique et atteinte du syndrome de Dravet : « Nous habitons à Saint-Aubin-de-Médoc mais il n’y a pas de classe Ulis dans cette commune. Notre fille est donc scolarisée dans la commune voisine, à Saint-Médard-en-Jalles dans le  quartier Magudas, à 10 km. Tout a été une question de structures et de places ». Pour Magali Pascaud, institutrice spécialisée en maternelle à Arcachon, ces contraintes géographiques ajoutent des difficultés supplémentaires pour les enfants : « Sur mes sept élèves, aucun ne vient d’Arcachon. Certains font jusqu’à 45 minutes de trajet par jour, ils sont plus fatigués que les autres ».

Cette inégale répartition des dispositifs spécialisés pour scolariser les enfants en situation de handicap a fait l’objet d’un plan gouvernemental.

Le cadre légal des Ulis

La loi du 11 février 2005 crée les classes pour l’inclusion scolaire (Clis). L’appellation change en 2015, année de naissance des Unités localisées pour l’inclusion scolaire (Ulis). Ces classes sont parties intégrantes de l’établissement dans lequel elles sont implantées. Elles permettent aux élèves porteurs d’un des sept types de handicap cités ci-dessus de bénéficier d’une organisation pédagogique adaptée à leurs besoins, dans un cadre ordinaire. Les Ulis existent au premier (maternelles, primaires) comme au second degré (collège, lycée général ou technologique). Il n’y a pas d’obligation légale d’ouvrir un nombre déterminé d’Ulis dans chaque secteur. La décision d’ouvrir une classe revient à l’inspecteur de l’Académie concernée. Après avoir analysé les besoins et les moyens de son Académie, il intègre ou supprime les Ulis et y place les enseignants. En théorie, la loi de 2005 charge les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) du rôle d’observatoire stratégique du handicap, recensant pour un handicap donné les effectifs et les besoins dans chaque zone. En pratique, cette mission s’avère laborieuse, raison pour laquelle les associations de parents s’attèlent aussi à cette tâche.

Les Ulis, premier et second degré confondus dans les établissements publics et privés, concentrent près de 40% des élèves en situation de handicap scolarisés dans le département en 2019, avec 2327 élèves sur 5983.

Depuis 2015, le nombre d’enfants scolarisés en classe Ulis dans le secteur public est en constante augmentation : de 1763 élèves à leur création, à 2051 sur l’année 2018-2019.  Cette évolution est plus marquée pour les établissements du second degré, dont les effectifs égalent désormais ceux du premier degré. 

Les disparités territoriales : l’exemple des Ulis dans l’enseignement public

Les cartes des Ulis publiques du premier et du second degré révèlent de grandes différences dans le département comme l’illustre le témoignage de Sandrine* qui a scolarisé sa fille dans une classe Ulis à 10 kilomètres de son domicile. Des disparités exacerbées au collège et surtout au lycée : seuls neuf établissements en dehors de la métropole bordelaise disposent de classes Ulis, tandis qu’une diagonale du vide se dessine de l’Ouest au Sud-Est de la Gironde.

Des niveaux, des classes et des âges

« Le drame en France, c’est que la classe correspond à un âge et non à un stade de développement de l’enfant ». Pour Julie Millot, membre de l’Association départementale de parents et amis de personnes handicapées mentales (Adapei), le fonctionnement de l’Éducation nationale ne permet pas aux élèves en situation de handicap de disposer d’un niveau d’apprentissage adapté. Du fait de leur condition médicale, ces enfants et leur scolarité sont souvent impactés par les rendez-vous médicaux qui réduisent leur temps d’enseignement, et par le manque d’enseignants aptes à les accompagner. Entré en maternelle à l’âge de 5 ans, le fils de Julie Millot, atteint d’un polyhandicap et d’autisme, est « hors des clous » à cause d’importants problèmes de santé rencontrés au début de sa vie. Le projet personnalisé de scolarisation (PPS) d’Arthur ne lui a pas permis de profiter d’un apprentissage adapté à son handicap et à ses difficultés après sa maternelle, comme la loi le prévoit.

A 9 ans, Arthur vit actuellement sa deuxième année en CP. « Lors de sa première année, il n’y avait pas d’institutrice spécialisée pour mon fils, ainsi la maîtresse n’était pas en mesure de le prendre en charge. Les remplaçants se sont enchaînés et le travail n’a pas été fait puisqu’il n’y a aucun suivi », déplore Julie Millot. Une année qui a mené à un redoublement souhaité par les parents, mais obtenu non sans difficultés. « On a dû se battre pour le redoublement car l’Éducation nationale le refusait ». Une aberration pour la mère de famille dont le cas n’est pas isolé. Sandrine, dont la fille de 11 ans a déjà redoublé le CM2, désire qu’elle reste dans cette classe l’année prochaine. Une démarche très complexe. « Dans le département le rectorat n’est pas du tout favorable au double maintien des élèves handicapés ».  Un parcours inadapté qui ne correspond donc pas aux besoins et entraîne une stagnation voire une régression de l’écolier.

« C’est à chaque fois une lutte acharnée pour maintenir son enfant dans une classe qui est ajustée à son niveau scolaire ».

Le discours de Julie Millot est conforté par les chiffres de la scolarisation par âge. Les données récoltées montrent que le nombre d’élèves en situation de handicap, scolarisés dans tous les établissements confondus, augmente fortement de 6 à 10 ans, âge autour duquel ils sont le plus nombreux. Les effectifs par âge connaissent ensuite une forte baisse qui s’intensifie au delà des 15 ans. 

En 2018-2019, 800 enfants de 10 ans en situation de handicap étaient scolarisés. Un nombre qui est presque divisé par deux pour les élèves de 16 ans. Une baisse plus fortement marquée dans le milieu scolaire classique que dans les établissements sanitaires et médico-sociaux.

Un parcours du combattant

L’investissement des parents pour scolariser leur enfant est faramineux. Ancienne agente immobilière, Julie Millot regrette de ne pas pouvoir poursuivre son activité professionnelle. « J’ai arrêté de travailler à la naissance d’Arthur, j’ai pu reprendre le travail pendant sa maternelle. Malheureusement depuis septembre j’ai dû freiner considérablement pour m’occuper de mon fils ». Et pour cause, le temps passé à gérer la scolarité et la santé de l’enfant débute avant même son entrée à l’école. « On doit se battre avec l’Éducation nationale et la MDPH car c’est elle qui donne les moyens de scolariser notre enfant ».

Ainsi, en plus d’apporter une aide financière aux familles, la MDPH doit fournir une attestation. Dans le cas d’Arthur : « la commission se réunit deux fois par ans pour remplir le GEVA-Sco », explique sa maman. Ce papier est le guide d’évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation. Il regroupe les informations relatives à la situation de l’élève : ses progrès, son emploi du temps avec les prises en charges médicales et pédagogiques qui lui sont nécessaires… « La MDPH met quatre mois à inscrire le dossier ». Un délai supposé « maximum » sur le site de la structure mais qui s‘avère être « interminable » pour Julie Millot. Les démarches administratives sont longues et sinueuses, les familles demeurent dans le doute permanent.

« C’est un non-sens total » pour cette mère de famille. « Cette année, on a envoyé le 15 février le dossier pour avoir une notification qui nous permettra d’inscrire Arthur en septembre prochain. C’est extrêmement anxiogène car personne ne sait où en sera notre enfant dans six mois. Tout est à revoir ». Le parcours administratif est similaire du côté de la famille de Sandrine : « On a dû tenir bon et être ferme, finalement ça ne s’est pas trop mal passé, on a beaucoup insisté car notre fils devait aller en Ulis puisqu’il n’y avait pas de place en IME ».

Heureusement, certains parents peuvent compter sur l’aide des élus locaux et des membres du corps administratif. « À Saint-Médard, nous avons de la chance, le maire est très à l’écoute et coopératif » reconnaît Sandrine. Julie Millot le concède : « tout le monde est de bonne volonté mais ça ne peut pas fonctionner ainsi ».

Face aux difficultés liées à la scolarité des enfants en situation de handicap, certains parents cherchent des solutions intermédiaires. Henriette Neny a ainsi créé Ein Gedi. « Si une structure de ce type existait, je ne l’aurais pas fondée, mais rien ne correspondait à ce que je voulais pour mon enfant ». En 2015, la structure pédagogique, déclarée auprès du rectorat, ouvre ses portes en plein centre de Bordeaux. Aujourd’hui, elle accueille une dizaine d’élèves âgés de 10 à 20 ans. Parmi les jeunes, certains ne viennent que l’après midi, après une matinée en classe Ulis, les plus grands suivent des stages dans le courant de l’année… Une solution jusqu’ici marginale mais envisageable pour les parents qui cherchent des alternatives au système public.

Sollicité à de multiples reprises, le rectorat de Bordeaux n’a pu apporter de réponses à nos questions. Les services ont notamment mis en avant la situation de crise sanitaire que traverse actuellement le pays.

Victoria Berthet, Jordan Dutrueux, Christophe Hosébian-Vartanian, Paul-Guillaume Ipo, Emilie Jullien, Mathilde Rezki, Thérèse Thibon.