Enquête sur la place des femmes dans les élections municipales des petites communes de Gironde [making-of]

Une idée…

2020 étant une année électorale, il nous semblait bien compliqué de passer à côté de cette actualité, en particulier dans une enquête data au long cours. Une autre question nous semblait inhérente aux élections aujourd’hui : celle de la place des femmes dans ce type de scrutin. Il nous a alors paru évident de faire rimer parité et élections municipales.

… un sujet et des rebondissements

Un article de la loi “Engagement et proximité” a attiré notre attention. Celui-ci devait rendre obligatoire le scrutin par liste dans les communes de 500 à 1 000 habitants pour les élections de 2026. Aujourd’hui, seules les communes de 1 000 habitants et plus sont concernées par ce scrutin. Une aubaine pour étudier les effets proactifs de cet article de loi, la progression de la part de femmes candidates et élues dans les petites communes girondines. 

Nous nous sommes donc lancées dans cette enquête jusqu’à ce qu’une première difficulté se présente : l’article porté par Sacha Houlié, responsable de ce texte pour La République en Marche à l’Assemblée Nationale, a été rejeté par la Commission Mixte paritaire le 11 décembre 2019. Notre question de départ sur l’effet proactif de cet article de loi devenait donc caduque. Qu’à cela ne tienne ! Nous décidons de conserver notre terrain et continuons de travailler sur ces petites communes girondines de 500 à 1 000 habitants, en questionnant l’engagement des femmes dans la politique locale, et surtout, pourquoi elles y sont moins nombreuses que les hommes. Quels sont les freins à leur engagement ? Ce scrutin qui n’a finalement pas changé, et qui ne favorise donc pas la parité, est-il suffisant pour aboutir à l’égalité femmes-hommes ? 

Donnez-moi des données

Les données concernant les listes de candidats et les résultats des élections municipales, pour 2014 comme pour 2020, sont disponibles sur le site du ministère de l’Intérieur. En revanche, ces données ne sont disponibles que commune par commune. Il nous a donc fallu fusionner dans un même document l’ensemble des données relatives aux différentes communes pour ensuite les analyser.

Une fois ce premier tri effectué, nous avons pu en extraire des informations contextuelles sur le nombre de femmes candidates aux élections aux municipales de 2014 et 2020, et le pourcentage d’entre elles élues au conseil municipal ou devenues maires. Nous avons ensuite suivi la même démarche pour les hommes, afin de comparer ces taux. A ce stade déjà, les chiffres montraient une inégalité entre les hommes et les femmes, ainsi qu’une absence d’évolution entre les taux de 2014 et de 2020. 

Nous avons vérifié, par la suite, la correspondance entre le nombre de voix obtenues et les chances de devenir effectivement maire suite au vote du conseil municipal. L’obtention de la majorité des suffrages ne garantit pas, en effet, l’accès au poste de maire. Comment ? En comparant les scores obtenus lors des élections et le fait d’avoir été élu maire ou non. Là encore, les chiffres parlent d’eux-mêmes : les hommes ont bien plus de chance que les femmes d’obtenir un poste de maire sans majorité de voix. De tels chiffres font entrevoir des conseils municipaux qui laissent plus de place aux hommes. 

Nous nous sommes enfin intéressées au nombre de mandats moyens effectués par les hommes et les femmes. Pour cela, nous avons calculé la moyenne du nombre de mandats des maires actuels (en ne tenant pas compte du scrutin de 2020). Et sans grande surprise, la moyenne des hommes était plus élevée que celle des femmes. Nous avons également regardé si les maires actuels s’étaient représentés en 2020 : les hommes étaient bien plus nombreux que les femmes à déposer une nouvelle candidature. 
Vous pouvez retrouver nos bases de données et conclusions sur ce fichier : https://docs.google.com/document/d/12x9uY_iIOYFeXbveOAe3mORVD8-U0L0IXSGXQUBAOio/edit?usp=sharing

Puis il y a eu des viz…

Une fois ces données traitées, le tout était de les rendre lisibles par tous. En respectant à chaque fois le même code couleur (orange pour les femmes, jaune pour les hommes, et framboise pour tous les autres éléments), nous avons donc réalisé 4 infographies et 1 vidéo :  

Une carte, réalisée avec le logiciel Datawrapper, mettant en lumière les communes de 500 à 1 000 habitants dans lesquelles des femmes sont maires, et celles dans lesquelles ce sont des hommes. Un survol de la souris permet d’accéder au nom de la commune, du maire, et de son âge. L’utilisation d’une telle carte rend l’absence des femmes d’autant plus frappante. Seul bémol : le fond de carte de la Gironde n’étant pas disponible, nous nous sommes reportées sur la Nouvelle-Aquitaine. Le zoom permet d’accéder à l’échelle du département, mais cela pourrait être un frein à la visualisation pour un lecteur pressé.

– Une visualisation, réalisée sur le logiciel Infogram, illustrant la longueur différente de mandats qu’on soit une femme ou un homme. Jouer sur la taille des icônes nous a paru une bonne idée pour montrer cette différence. 

– Une autre visualisation, elle aussi produite à partir d’Infogram, démontrant, chez les femmes maires et les hommes maires, le taux de nouvelles candidatures en 2020. Un taux plus faible, encore une fois, chez les femmes que chez les hommes.  

– Une dernière illustration, conçue avec le logiciel Canva, montre, grâce à des petits bonhommes la proportion de femmes qui arrive en tête des élections par rapport aux hommes, et ensuite, quelle part d’entre elle est vraiment élue maire. La difficulté a été de trouver un logiciel permettant de réaliser une infographie sous cette forme que nous avions imaginée. 

– Enfin, nous avons réalisé sur Animaker une vidéo très pédagogique expliquant les 4 profils les plus répandus chez les femmes maires à partir des travaux de Victor Marneur. Ce travail étant complexe et sociologique, l’expliquer grâce à un format vidéo et pédagogique nous a paru le plus pertinent.

… et de la vie

Notre préoccupation principale était de concilier divers regards théoriques avec des expériences de terrain. A l’intersection de ces deux aspects, intégrer une parole politique et militante nous semblait pertinent, dans la mesure où la question de la parité implique un débat de valeurs.

[“Experts”]

De nombreux articles scientifiques étudient les enjeux de la parité. En un sens, ces textes ont été nos premiers interlocuteurs, pour nous permettre de mieux appréhender notre sujet.

Parmi eux, la thèse de Victor Marneur intitulée : “Rapports sociaux de sexe et pouvoir municipal dans les espaces ruraux : le cas des petites communes de Gironde au tournant des réformes paritaire” s’est révélé particulièrement utile. (https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01885491/document) Son objet d’étude concordait particulièrement bien avec notre sujet. Pour cette raison, nous avons interviewé ce docteur en science politique, diplômé de l’IEP de Bordeaux, chercheur associé au Centre Emile Durkheim. 

Nous avons également interviewé Louis le Foyer de Costil, avocat en contentieux électoral et spécialiste du droit des élus au barreau de Paris. Nous l’avons interrogé sur droit de ces élus, et les changements qu’aurait pu induire, dans les petites communes, la modification du scrutin.

[Élues locales de Gironde]

Du côté des « expériences de terrain », nous avons recueilli les témoignages de plusieurs femmes engagées dans la politique locale, sans prétendre à une quelconque représentativité.

Nous avons interviewé :

Chantal Picon, maire depuis 12 ans de Hure, commune de 513 habitants.

Chantal Gantch, maire de Savignac-de-l’Isle, commune de 505 habitants.

Nathalie Duluc, candidate à la mairie de Balizac aux élections de 2020, commune de 504 habitants.

Véronique Ferreira, maire de Blanquefort, ville de plus de 15 000 habitants.

Josiane Zambon, maire de Saint-Louis-de-Montferrand, commune de 2 153 habitants

Valérie Ducout, maire de Saint-Ciers-sur-Gironde, ville de 3 039 habitants

[Politique]

Nous avons interviewé Sacha Houlié, député LREM de la 2e circonscription de la Vienne, responsable du texte pour le groupe La République En Marche.

Catherine Coutelle, femme politique, fondatrice de l’Association des Anciennes Députées, ex-députée de la 2e circonscription de la Vienne, ex-présidente de la Délégation aux droits des femmes. C’est notamment sous l’impulsion de cette députée que le seuil de parité obligatoire a été abaissé de 3 500 à 1 000 habitants en 2013. Son regard sur le récent rejet d’un abaissement supplémentaire nous apparaissait donc particulièrement intéressant. 

[Associations]

AMRF

L’Association des Maires Ruraux de France fédère, informe et représente les maires des communes françaises de moins de 3.500 habitants. Nous avons joint son président, Cédric Szabo, qui nous a expliqué pourquoi l’association s’était abstenue de se positionner lors de l’examen de la loi sur l’abaissement du seuil des listes paritaires à l’automne 2019. 

Elles aussi

Après le rejet de l’article que nous étudiions, l’association “Elles Aussi” avait exprimé sa déception dans un communiqué signé par sa vice-présidente, Armelle Danet. Créée en 1992, cette association milite pour l’instauration de la parité dans toutes les instances représentatives et s’efforce de peser dans le débat public en formulant des propositions auprès des députés. Nous voulions donc recueillir leur sentiment et leur analyse suite au report de l’abaissement du seuil de la parité. 

Une enquête, une équipe

Confinées mais pas démotivées

Dans l’ordre de l’image : Oriane Cuenoud, Amandine Hustache, Rachidath Sarre, Marie Lemaitre & Pauline Senet