Dans la métropole bordelaise, le prix d’une année de football pour un enfant de 12 ans varie considérablement en fonction des clubs. Nous avons interrogé plusieurs formations pour comprendre les mécanismes responsables de ces écarts. 

Lorsqu’il doit analyser l’image de marque de son Stade Bordelais, le président Alain Fournier ne se fait pas prier. « On est un club à la bonne réputation”, lance-t-il sans se tromper. Son club fait figure d’ancêtre dans le milieu du football bordelais. Fondée en 1889, la structure a une longue histoire derrière elle. Situé dans la banlieue nord-ouest de la ville, le club compte 550 licenciés, faisant du Stade Bordelais l’un des plus importants de la métropole. Cette excellente réputation s’est forgée au fil des années, grâce à une équipe première au niveau national (N3) et de nombreux joueurs formés sous le maillot noir et blanc, intégrant régulièrement des centres de formation reconnus.

Pour la saison écoulée, le prix de la licence était de 250€ pour toutes les catégories, hormis les féminines qui devaient débourser 120€ pour fouler les pelouses du club. Ce prix, supérieur à la moyenne, est intrinsèquement lié à la réputation de la section football. Très tôt au club, un choix est nécessaire pour conserver les meilleurs éléments dans les catégories jeunes. “Au départ on ne trie pas chez les plus petits, mais dès 11 ans on commence à se séparer de joueurs. Certains partent vers Bruges, Le Bouscat ou Caudéran “, indique Alain Fournier, l’exigence du résultat en point de mire.

Les jeunes viennent pour la compétition, on refuse du monde.” Face à cette demande importante, le club peut se permettre d’appliquer un prix de licence plus élevé pour l’inscription des jeunes joueurs. Pour son équipe U13, Alain Fournier l’assure : « on préférerait avoir une équipe de plus. Une formation un peu plus détente mais ce n’est pas le cas pour le moment.” Le manque d’infrastructures est perceptible avec un “seul terrain à Bordeaux Lac. Un espace de réception insuffisant qui peut engendrer un manque de convivialité.”

De bonnes installations, c’est justement l’argument-phare, avancé par le club des Ecureuils de Mérignac Arlac afin d’attirer des aspirants footballeurs. Plus gros club de Nouvelle-Aquitaine avec 870 licenciés, les infrastructures de la formation mérignacaise sont de bonne qualité. “On a un site avec cinq terrains. Deux terrains synthétiques, un terrain d’honneur et deux autres d’entraînement. Et même un petit city stade”, précise Jean-Luc Fonteyraud, secrétaire général du club, avec une pointe de fierté dans la voix.

Comme pour le Stade Bordelais, le FCE Mérignac Arlac fait partie de la fourchette haute des licences distribuées en métropole bordelaise. Pour la saison 2019-2020, l’inscription d’un enfant de 12 ans coûtait 200€ aux parents. “Ce sont des choix”, justifie Jean-Luc Fonteyraud, “la qualité de nos installations fait de nous un club attractif. » Avec une équipe première en National 3 et un classement souvent cohérent pour ses équipes de jeunes, le club profite de sa réputation pour fixer un prix de licence un peu plus important. “On refuse 300 à 400 joueurs par an. On a une bonne côte. Beaucoup de gens veulent venir signer à Arlac”, résume le secrétaire général. 

Des disparités territoriales 

Doté d’une bonne réputation également, le club de l’Union Sportive de Lormont doit, de son côté, réguler le prix de ses licences pour permettre aux jeunes de la ville de pratiquer le football. “On a une population d’ouvriers, des quartiers sensibles. On ne peut pas faire des licences à des prix exorbitants”, explique Jean-Yves Moline, président du club depuis janvier 2019. Pour l’année 2019-2020, l’inscription coûtait 170€ pour toutes les catégories d’âge, “avec des tarifs dégressifs pour les fratries”, précise le responsable.

L’influence de Lormont dans le football bordelais est bien établie, avec une équipe première au plus haut niveau régional (R1) et des équipes de jeunes compétitives, tutoyant systématiquement l’élite régionale. “Le nom Lormont est connu dans le foot régional et dans les communes environnantes”, témoigne le nouveau taulier de l’US Lormont. Jean-Yves Moline est conscient de l’attractivité de son club, dans une rive droite bordelaise confrontée à de fortes inégalités sociales. “On s’adapte à la population de la rive droite”, indique-t-il.

À Bordeaux intra-muros, le prix des licences varie également. L’analyse est plutôt similaire pour Jean-Paul Ferdrin, président de l’Union Saint-Bruno. Pour lui, la différence “dépend vraiment des quartiers”. Pour porter le maillot de l’Union Saint-Bruno dans la catégorie U13 pour la saison en cours, il fallait débourser près de 210 € en licence. Il suffit d’un trajet de 10 minutes en voiture pour trouver un club au tarif radicalement différent. Club de quartier résidentiel de l’Ouest bordelais, la formation voisine de l’USJ Saint-Augustin propose une cotisation à 100€ pour un enfant de 12 ans.

Une tendance plus abordable qui s’expliquerait, selon Jean-Paul Ferdrin, par la différence de revenus et de niveau de vie entre les deux quartiers. Toutefois, d’autres données plus explicites rentrent en compte pour expliquer cette différence de tarifs, la politique sportive de l’Union Saint Bruno en point d’orgue.

Des mairies plus généreuses que d’autres 

Seul un kilomètre sépare le SPUC (Saint-Pessacais Union Club) et le FCE Mérignac Arlac (Football Club Ecureuils Merignac Arlac). Basés respectivement à Pessac et à Merignac, les deux clubs proposent des prix à l’année très différents, 130 euros au SPUC contre 200 au FCE. Pour Jean-Luc Fonteyraud, secrétaire général du FCE,  il faut chercher du côté de la politique sportive des municipalités.“Les communes, c’est aussi ce qui fait la différence. Nous à Mérignac, on est une commune sportive qui donne une très bonne subvention, ça n’a rien à voir avec Pessac qui donne presque rien à son club de foot.” Un constat que partage Bruno Moreau, président du SPUC depuis plus de 20 ans : “le nouveau maire a fait pas mal de choses au niveau du sport sur Pessac, mais on avait 25 ans de retard. Pour vous donner un ordre d’idée pour un ville de 75 000 habitants, il y a peu on avait pas de gymnase.” 

Le président du SPUC rappelle tout de même que, pour les communes, tout n’est pas qu’une question de volonté : “Il y a beaucoup de petites PME à Pessac mais de grosses entreprises comme Thalès, Dassault l’armée de l’air, l’aéroport, Mérignac Soleil, ça on n’a pas. Et c’est un gros avantage puisque ça génère de grosses rentrées d’argent avec les impôts locaux et les taxes professionnelles.” 

Cette manne financière, signe de la bonne santé économique de Mérignac, permet au FCE de toucher 100 000 euros de subventions quand le club pessacais en perçoit à peine 20 000. “Ça donne des moyens extrêmement différents, on touche 10 fois plus que dans certaines communes” , reconnaît Jean-Luc Fonteyraud.  Des moyens qui, au fil du temps, ont joué un rôle important dans la politique des clubs de la métropole.

Deux clubs voisins, une approche différente

Sources : Montant des subventions récupéré auprès des municipalités

À chaque club sa politique 

Au premier abord il semble étrange, voire indécent, que le FCE fasse payer plus cher sa licence malgré des aides de sa mairie plus élevées. En réalité, comme il l’a été précisé en amont, l’équation est plus complexe. Dans le cas du FCE, la liberté financière que lui apportent les subventions municipales a permis au club de s’imposer comme l’un des plus important de la région. 

Afin de continuer à gravir les échelons sur le plan sportif, les gros clubs cherchent à trouver des fonds pour leurs équipes seniors et la post-formation qui demandent techniquement plus de frais (déplacements, arbitrage) comme l’explique le président Ferdrin du club de Saint-Bruno : “les clubs veulent du nombre et après donnent l’argent aux seniors.”

La mécanique semble un peu simpliste, pourtant nous ne sommes pas loin de la réalité. Les plus grosses structures se permettent de fixer des prix de licences plus élevés que la moyenne et mettent l’accent sur les catégories les plus âgées. Une stratégie assumée du côté du FCE : “Sur un budget de 500 000 euros on consacre environ 20% à l’école de foot qui va jusqu’au 12 ans.”

Dans la même optique, les clubs avec une ambition forte n’hésitent pas à utiliser la sélection, parfois dès 6 ans,  pour se donner toutes les chances d’avoir des résultats. 

Chose inconcevable pour le président du SPUC : “tout le monde a le droit de jouer au foot, on prend tout le monde même les très moyens.” Avec un budget de 190 000 euros le club pessacais n’a pas pour but de mimer la politique des grosses “écuries” de la ligue Nouvelle-Aquitaine. “Nous sommes un club familial, avec des adhérents qui pour moitié viennent des quartiers populaires du Burck ou de la Châtaigneraie, la moitié du budget est dédié aux 6-13 ans et pourtant les petits coûtent moins cher que les ados et les séniors”, ajoute avec insistance Bruno Moreau. Si le club ne délaisse pas les résultats sportifs, son président reste lucide : “on ne peut pas rivaliser avec Arlac mais on apporte autre chose aux enfants.” 

Effectivement, dur de faire jeu égal avec les gros clubs, surtout quand une bonne partie des joueurs (principalement les meilleurs) partent après l’école de foot vers ces clubs plus huppés dans l’espoir d’un jour de se faire repérer. 

Une situation que le président de l’Union Saint-Bruno, Jean Paul Ferdrin, ne connaît pas ou plutôt ne connaît plus : “j’ai fait pendant des années du social, mais ça rapporte moins qu’avant, on forme des jeunes qui partent à droite à gauche, on fait exprès la licence plus cher, c’est volontaire. » En proposant une licence à 210 euros Saint-Bruno fait partie des clubs les plus onéreux de la métropole. Une politique qui permet d’offrir de meilleures conditions d’accueil aux adhérents afin de les fidéliser : “si on fait une licence moins chère,  on n’avance pas, on ne peut pas acheter de survets, des sandwichs aux gosses. Le plus important c’est aussi de défrayer les éducateurs pour ne pas se retrouver avec des papas à la tête des équipes. Il faut des diplômes et aider un peu ceux qui les passent.” Résultat, l’équipe senior de Saint-Bruno vient tout juste de monter en régional 2 avec un effectif à 80% formé au club.

Dany Tougeron et Thibault Lacoux