En 2020, la parité sur les listes municipales dans les petites communes de Gironde n’a progressé que d’un point par rapport à 2014. Entre sexisme, autocensure et charge mentale, nombreux sont les obstacles que rencontrent les femmes pour se porter candidates.

18 heures, le 27 février 2020. La période de dépôt des candidatures aux élections municipales est close. Dix-sept jours plus tard, les Français et les Françaises votent pour nommer la personne qui administrera leur commune pour les six prochaines années. Et si ce maire était une femme ? En Gironde, dans les 99 communes qui comptent entre 500 et 1 000 habitants, 42,3% des prétendants au statut d’élu sont des femmes. La participation de ces dernières en politique reste donc, pour ce scrutin municipal, plus faible que celle des hommes. C’est même à peine si elle est en augmentation par rapport aux précédentes élections municipales de 2014. Seulement un point de pourcentage de candidatures féminines supplémentaires a été enregistré en 2020.

À l’automne dernier, le projet de loi “Engagement et Proximité” arrive au Parlement. Porté par le groupe La République en Marche, ce texte vise à encourager l’engagement de toutes et de tous dans la vie politique locale et renforcer les pouvoirs des élus locaux. Parmi les mesures débattues, l’une d’entre elles porte sur l’abaissement du seuil de scrutin de listes paritaires afin de favoriser l’égal accès des femmes et des hommes au sein des conseils municipaux. Actuellement, seules les communes de plus de 1 000 habitants sont dans l’obligation de présenter des listes paritaires aux élections municipales. Si ce projet de loi est adopté, ce seuil serait abaissé aux communes de 500 habitants à partir des élections municipales de 2026. Un bouleversement politique majeur pour les petites communes où le système de listes paritaires n’est pas encore obligatoire. Dans celles-ci, c’est en effet le système plurinominal qui s’applique. En d’autres termes, le vote se fait en direction de candidats, voire de non-candidats.

Le 20 novembre 2019, l’Assemblée Nationale adopte cette loi en première lecture. Une avancée pour la parité aussitôt freinée par le vote du Sénat effectué quelques mois auparavant, qui lui, est opposé à ce changement de seuil. C’est finalement le 11 décembre 2019 que les parlementaires, réunis en commission mixte paritaire, s’accordent sur un compromis : l’article sur l’instauration de listes paritaires dans les petites communes est retiré du texte final de la loi “Engagement et Proximité”, en échange de quoi les députés et sénateurs s’engagent à en débattre à nouveau avant le 31 décembre 2021. Pour la parité, il faudra donc revenir. 

“Attendre une évolution naturelle des mentalités est une illusion”

“Sans contrainte, il ne se passe rien” s’exclame Armelle Danet, présidente de l’association Elles Aussi qui milite pour atteindre la parité dans toutes les instances élues. Elle regrette que l’égal accès des femmes et des hommes aux postes politiques locaux ne soit encore pas garanti dans la législation. “Attendre une évolution naturelle des mentalités est une illusion”, estime-t-elle. “Aux élections législatives de 1956, il y avait 3 % de femmes. En 1993, 6 %. Alors vous voyez, l’évolution naturelle…”. Quelques exceptions existent, comme la liste menée par Nathalie Duluc à Balizac, où elle a remporté le maximum de voix au premier tour. Secrétaire de mairie pendant six ans, la jeune femme a pris conscience de ses compétences et a tenu à présenter en 2020 une liste paritaire, malgré l’absence d’obligation dans ce village de 504 habitants. Pas d’obligation de parité certes, mais les communes rurales sont plus exemplaires sur ce sujet que leurs voisines de plus de 1 000 habitants. C’est notamment le cas en Gironde où 20 % de femmes ont accédé au statut de maire aux élections municipales de 2014, contre 16 % dans les plus grandes villes. Un écart qui s’explique entre autres par un haut degré de sociabilité des femmes dans les petits villages, selon le politiste Victor Marneur. “On va trouver des femmes maires dans des communes rurales car les densités de population sont faibles et assez stables, ce qui leur permet de s’insérer socialement de façon durable et profonde”, analyse-t-il. 

Dans sa thèse de doctorat sur les rapports sociaux de genre dans les petites communes de Gironde, Victor Marneur distingue différents types de femmes pour qui le poste d’élu est plus accessible. Chantal Picon fait partie de celles qu’il appelle les “autochtones”. Cette secrétaire médicale de 58 ans a dédié 19 ans de sa vie à la municipalité de Hure. Dans ce bourg de 501 habitants, niché entre Marmande et Langon, les locaux la connaissent bien. Et pour cause, Chantal Picon est une “fille du pays”. Avant de devenir maire, un choix qui relève du “hasard”, la quinquagénaire a participé au club de jeunesse, au club de football et au comité des fêtes de Hure. À quelques mois de rendre son écharpe de maire, elle l’avoue avec une pointe de nostalgie : “j’ai consacré ma vie au service du village.” Alors que dans les grandes villes, les enjeux sont politiques, dans les petites, ils seraient plutôt sociaux. De quoi avantager les femmes rurales par rapport à leurs homologues urbaines selon Victor Marneur.

Mais encore faut-il que les femmes soient intégrées dans le paysage social d’un village. Sous l’effet de la périurbanisation des communes, des néo-ruraux convergent vers les campagnes avec pour corollaire, des difficultés d’intégration. “La perception des néo-ruraux par les autochtones apparaît souvent empreinte de méfiance, voire de défiance”, écrit le politiste dans sa thèse. En cause : la crainte que des “pratiques urbaines” viennent perturber “l’entre-soi” local. Ces rapports sociaux conflictuels dans les bourgs ont des effets sur la compétition municipale. Nathalie Duluc, candidate à la mairie de Balizac, le confirme : “Le renouveau est à double tranchant. Si on n’a pas un nom de famille ancré dans le village, c’est plus compliqué.” Lorsqu’elles parviennent à intégrer les conseils municipaux, les femmes font face à un constat : dans ces assemblées, la prédominance masculine demeure. En effet, selon les résultats définitifs des dernières élections, 59,4 % des hommes intégreront prochainement les conseils municipaux des petites communes contre 40,6 % de femmes. Quant au poste de maire, il sera lui aussi, moins souvent occupé par une femme que par un homme. Il ressort des suffrages que 57,3% des candidats élus au premier tour dans les petits villages sont des hommes tandis que 42,7% sont des femmes.

Moins nombreuses dans la vie politique locale, les femmes sont aussi souvent relayées aux seconds rôles. Une enquête réalisée par le quotidien Sud Ouest sur les femmes élues de Gironde, révèle en effet que, dans 67% des cas, les finances et l’économie sont confiées aux hommes, tandis que l’enfance et la famille sont dans 80% destinés aux femmes. « La répartition des postes au sein des conseils municipaux est connotée en fonction des stéréotypes de genre », analyse Catherine Coutelle. Une tendance qui se confirme aussi dans les petites communes où les élues se tournent le plus souvent vers des fonctions liées au social et à la culture, alors que les hommes briguent les fonctions liées à la voirie et l’urbanisme. Cela s’explique non seulement par le fait que les hommes leur proposent « des postes qu’ils estiment être faits pour elles » mais aussi parce que les femmes « s’autocensurent », selon l’ancienne députée. Armelle Danet va même plus loin. Pour la militante, ces attributions stéréotypées ont des répercussions sur la carrière des politiques. « Les hommes s’occupent des délégations les plus nobles destinées à les propulser vers un mandat de maire, à l’inverse celles attribuées aux femmes le plus souvent ne sont pas un tremplin pour briguer un mandat.” 

Sexisme et charge mentale, des freins pour les élues

Réunions tardives qui s’allongent, impératifs à régler en soirée et pendant les week-ends, problèmes du quotidien à résoudre.  Le mandat d’un maire rural n’est pas de tout repos. Il en est d’autant plus vrai pour certaines femmes, qui en plus de devoir concilier vie professionnelle, vie privée et municipale, subissent une charge mentale due à une répartition inégale des tâches au sein du foyer. Une position d’équilibriste que toutes ne peuvent pas tenir. « Je n’en peux plus. Je me suis investie pendant sept ans au poste d’adjointe et douze ans en tant que maire. Je souhaite prendre du temps pour moi et profiter de mes petits-enfants », lâche Chantal Picon. Et même si les femmes s’engagent par conviction « vous sacrifiez beaucoup de choses », renchérit Chantal Gantch, maire de Savignac-de-l’Isle. 

La charge mentale assumée par les femmes peut parfois limiter leur engagement, ou même les dissuader de s’engager (Crédits : Pauline Senet)

A cela s’ajoutent les actes sexistes dont sont victimes certaines élues. Sur la question, Victor Marneur invite dans sa thèse à faire le distingo entre deux catégories d’élues. Les premières qui sont originaires de leurs communes et qui n’en sont pas victimes parce que considérées comme « légitimes ». Chantal Picon en fait partie. Même si elle affirme n’avoir jamais subi de remarques ou d’agressions sexistes, la maire de Hure reconnaît que « dans certains coins de campagne les hommes sont un peu machos. » Ce machisme, c’est la seconde catégorie d’élues qui en fait les frais. Selon le politiste, celles originaires d’autres communes seraient plus victimes de remarques sexistes, conséquence de l’hostilité des locaux. Pas étonnant qu’après deux mandats « elles s’arrêtent parce qu’elles veulent faire autre chose », justifie Chantal Gantch. Les élues sont en effet les plus susceptibles à passer la main. Le nombre moyen de mandats chez les hommes est de 2,1. Certains allant même jusqu’à en cumuler six. Chez les femmes, ce nombre de mandats est plus faible : 1,5.

Dans les villages, aux dernières élections municipales, 65 % des femmes élues maires en 2014 se sont représentées contre 72 % des hommes. Autre tendance observée : les élues démissionnent plus que leurs homologues masculins. C’est en tout cas l’une des conclusions de la thèse de doctorat de Victor Marneur. Le politiste révèle d’ailleurs que l’âge démissionnaire des femmes est généralement compris entre 35 et 60 ans, voire plus. « Deux périodes de la vie où les femmes doivent s’occuper de leurs enfants ou de leurs petits-enfants », analyse-t-il.

Si l’épuisement peut pousser des femmes à jeter l’éponge, qu’en est-il des femmes qui ne sont pas encore élues ? Le désengagement des femmes en politique serait-il dû au mode de scrutin actuel ? Dans les communes de moins de 1 000 habitants, le candidat qui a reçu le plus de votes lors du scrutin n’est pas assuré de briguer un mandat d’élu. En effet, la personne qui administre la commune n’est nommée qu’à l’issue du premier conseil municipal nouvellement constitué. Pour les femmes, minoritaires au sein de ses assemblées, « c’est le pire des scrutins » réagit Catherine Coutelle. “Les maires qui sont élus sont ceux qui n’ont rien demandé ». En 2014, sur 99 communes, les femmes ont obtenu la majorité dans 35 d’entre elles et à l’issue du vote des conseillers municipaux, seulement 20 % des communes avaient une femme comme maire. A contrario, ils étaient 64 hommes à avoir obtenu la majorité des voix cette même année, pour finir avec 79 hommes maires. Dans les villages, la probabilité qu’une femme accède au poste de maire avec la majorité est donc de 57,14 %. La vice-présidente de l’association des femmes maires de Gironde pondère. “Le scrutin n’est pas uniquement en défaveur des femmes », estime-t-elle. Pour Armelle Danet, l’élection du maire par le conseil municipal n’est pas un obstacle majeur pour les femmes. “Dans ce vote plié d’avance, il y a rarement des surprises”, explique-t-elle. À ses yeux, la moindre présence des femmes se joue en amont, au moment de la constitution des listes et des candidatures, quand s’expriment l’autocensure féminine et la cooptation masculine.

Et si la solution était de passer par la loi pour instaurer la parité sur les listes électorales ? La date butoir pour trouver une issue législative au Parlement a été fixée à décembre 2021, mais cette question ne manque pas de susciter des débats en dehors de l’hémicycle. L’association des maires ruraux de France déplore que le projet de loi débattu en novembre dernier sur lequel il ne s’est pas prononcé, n’ait pas été “à la hauteur de l’enjeu”. Selon elle, pour que la parité existe, il faut que le statut de l’élu soit revalorisé de manière à rendre la fonction plus attractive : créer une indemnité d’élu et la rendre imposable. “Notre défi dans ce débat sur la loi ‘Engagement et Proximité’ c’était d’être certain qu’il y ait des avancées substantielles et notamment la création d’un statut de l’élu qui n’existe toujours pas. C’est le meilleur dopant de la parité”, assure l’association. Une position qui n’est pas partagée par Catherine Coutelle. “On ne fera jamais de statut de l’élu comme il se doit avec 600 000 élus”, rétorque l’ancienne députée PS. Si la mesure existe au Portugal, la socialiste estime qu’elle n’est pas transposable en France compte-tenu de la configuration géographique. “Il faudrait diminuer le nombre de communes”, explique-t-elle. “Mais dites ça aux élus, vous allez voir comment ils vont réagir…” 

Catherine Coutelle connaît les obstacles qui se dressent lorsqu’il est question de défendre un texte de loi en faveur de la parité. Députée de la Vienne, elle a contribué à faire voter la loi sur le non-cumul des mandats interdisant aux parlementaires de briguer des postes d’élus locaux. Au cours de son mandat, elle confesse avoir essuyé des remarques sexistes “aussi bien venues de la droite que de la gauche.” Par la suite, elle est devenue présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. La parité, c’est un combat qui lui est chevillé au corps. Et même si elle a tiré un trait sur l’exercice politique, elle n’arrête pas de suivre les débats pour autant. La loi sur la parité dans les communes rurales débattue en 2019 ? Elle l’a soutenue. Au moment de l’adoption du texte législatif abaissant le seuil des listes paritaires aux communes de 1 000 habitants en 2014, elle était même “favorable à ce qu’il descende à zéro”. “Les maires hommes des petites communes ont mis des freins disant que c’était impossible de trouver des femmes pour constituer une liste. Résultat : la loi est passée et ils ont trouvé des femmes.”

“La parité ne progresse que si la loi force les choses”

Passer par la législation pour favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux postes de pouvoir locaux, c’est pour Catherine Coutelle une condition sine qua non. “La parité ne progresse que si la loi force les choses”, martèle-t-elle. Armelle Danet de l’association Elles Aussi abonde dans ce sens. “Dans les conseils départementaux, il y a eu un appel d’air de femmes, élues par la force de la parité. C’est un tremplin de leur carrière politique qui leur a permis de prendre confiance en elles et d’aller plus loin”. Les enjeux vont même plus loin que le simple cadre politique. “La parité n’est qu’un outil. Sa finalité, c’est un partage égal du pouvoir, qui entraîne simultanément un changement des mentalités”, estime la militante. 

En attendant que les parlementaires s’accordent sur la question de l’abaissement du seuil des listes paritaires, des collectifs d’élues se sont créés. L’association des élues de Gironde rassemble depuis 2011 des femmes maires, conseillères municipales et même des députées du département. L’objectif : promouvoir la place et l’image des femmes en politique. Pour Armelle Danet, les réseaux de femmes élues sont importants pour les inciter à se lancer en politique. “La prédominance masculine en politique est en partie due à une “forte cooptation des hommes par les hommes. Or, les femmes ne prennent pas le temps d’aller prendre le café, justement parce qu’elles ont cette triple vie domestique, professionnelle et politique à gérer.” Ces collectifs sont donc le moyen de créer une solidarité. “Entre femmes, on est moins en compétition, on peut parler de tout”, ajoute la militante. La sororité, propulseur de la parité ? Pour Catherine Coutelle, une chose est sûre : il ne faut rien lâcher. “Le combat pour les droits des femmes, ce n’est jamais fini.”

Oriane Cuenoud, Amandine Hustache, Marie Lemaitre, Rachidath Sarre & Pauline Senet